J'ai testé pour vous 

J’ai testé pour vous la thérapie du dialogue intérieur

Publié le 25 février 2021 magazine : ELLE par la journaliste Caroline Michel

Le dialogue intérieur invite le sujet à mieux se connaître et à apprivoiser ses comportements souvent inconscients, parfois en une poignée de séances.

Notre journaliste psycho a testé auprès de la psychologue Marie-Agnès Chauvin. Passionnant !

C’est en travaillant un article sur les thérapies brèves que la psychologue et hypno thérapeute Marie-Agnès Chauvin, alors interviewée, me présente le dialogue intérieur. Je comprends, via ses explications, que cette technique thérapeutique consiste à faire converser « des parts de soi ». Pourquoi des « parts » ? 

Parce que notre inconscient n’est pas un bloc monolithique mais se divise en plusieurs parties. 

Un constat que l’on doit au psychologue Pierre Janet (1859 - 1947) et que l’on peut formuler ainsi : notre conscience peut se dissocier. 

Bien sûr, lorsqu’elle se dissocie inconsciemment (on ne maîtrise pas), on parle de maladie mentale (schizophrénie), mais nous pouvons la dissocier de manière consciente ; là est donc le principe du dialogue intérieur. Pour bien comprendre (je ne voudrais pas vous perdre), il nous faut aussi convoquer la théorie du célèbre psychiatre Carl Gustav Jung (1975-1961) qui, pour résumer, nous dit que la vie humaine est binaire (il y a le jour, la nuit, le féminin, le masculin …), si bien que nous avons tendance à élire certaines parts de nous plutôt que d’autres. Ou, pour être parfaitement exacte, disons que certaines parts de nous s’imposent. Au départ, si elles s’imposent, c’est parce qu’elles nous aident et contribuent à notre survie, mais un jour, il se peut qu’elles nous envahissent trop. 

En face d’elles, les parts « complémentaires » ou « opposées » se retrouvent à la cave. Vous êtes largués ? Prenons l’exemple d’une part maniaque qui s’exprime beaucoup et nous pousse à tout ranger au cordeau. La part « je m’en fous de la vaisselle qui traîne » ne trouve pas sa place. Dommage, parce que ça nous soulagerait… L’astuce trouvée par deux thérapeutes jungiens, Hal et Sidra Stone, inspirés par les travaux de leurs prédécesseurs, est de donner la parole à ces parts afin de trouver l’équilibre. Vous êtes toujours largués ?

Place au récit de ma rencontre et de mon test avec Marie-Agnès Chauvin pour un éclairage concret. J’ARRIVE AVEC UNE PROBLÉMATIQUE (ET EN VOITURE)

Avant notre rencontre, Marie-Agnès Chauvin me suggère de venir avec une « problématique ». Mon cerveau s’agite : il me faut trouver une problématique « grand public », rapport à l’article test que je compte écrire ensuite. Mais la psy me rassure d’emblée : « Vous pouvez très bien vous demander si vous devez vendre votre voiture pour acheter une moto ». Comprendre : avec une question somme toute banale, ça fonctionne. Bon, je ne compte pas vendre ma voiture (je n’en ai pas). C’est avec la voiture de mes beaux-parents que mon compagnon et moi prenons la route pour la campagne bretonne, direction chez MarieAgnès.

Au fil des kilomètres, j’affine ma problématique non motorisée : je voudrais, au quotidien, cesser de regarder l’heure toutes les cinq minutes et cesser de « tout faire vite » comme si le temps m’était compté. Disons que je suis quelqu’un de très organisé, que j’ai toujours la tête dans mon agenda et que je ne prends jamais cinq minutes pour souffler, l’objectif étant d’être efficace dans mon travail et d’alléger ma to-do list heure après heure, sauf qu’une to-do list, par définition, ça ne désemplit jamais, si bien que je ne m’arrête jamais. Où se loge mon oisiveté ? La détente ? Quelle part de moi tient absolument à être efficace, et quelle part « tranquille » manque d’être considérée ? Nous roulons et je cogite.

CINQ MINUTES DE COHÉRENCE CARDIAQUE POUR COMMENCER 

Nous empruntons la quatre voies, puis la nationale, puis une départementale, puis des routes de campagne qui se transforment en chemins. En plein « désert breton », nous garons notre voiture devant une maison tout à fait charmante, entourée de dépendances. Le jardin est magique, la nature resplendit. Marie-Agnès m’installe dans son bureau. Avant de commencer, elle revient sur le principe du dialogue intérieur. Certes, j’ai besoin de bien cerner les ressorts de cette thérapie pour écrire mon article, mais Marie-Agnès en explique toujours les tenants et les aboutissants à ses patients. Une façon de mieux appréhender la séance. La séance démarre par cinq minutes de cohérence cardiaque, soit un exercice de respiration qui permet de s’apaiser et de s’aligner. Nous nous alignons également toutes les deux, puisque Marie-Agnès et moi respirons ensemble au rythme d’Hypnoluce, une lampe fabriquée par ses soins : quand la luminosité augmente, nous inspirons, quand la luminosité diminue, nous expirons. Nous voilà connectées et moi j’ai la tête qui tourne.

MON CORPS EXPRIME DEUX PARTS, LA PART « DURE » ET LA PART «DOUCE » Je pose ma problématique et explique à Marie-Agnès que j’ai besoin de souffler, de ne plus chronométrer mes faits et gestes et de me « laisser aller » un peu chaque jour. Je rêve de me rendre en soirée sans projeter un départ à 21h « parce qu’il faut se lever tôt demain » (oui, je suis comme ça). Je lui dis aussi que j’admire mes copines qui, quand on bosse au café (enfin quand on bossait au café, dans une autre vie) prennent le temps de vider leur tasse avant d’attaquer tandis que moi, je me brûle la langue en tapant (déjà) à l’ordinateur. Pourquoi suis-je incapable de prendre trois minutes pour moi ? Marie-Agnès m’écoute attentivement. Une fois mon discours terminé, elle me dit que mon corps s’est penché vers la gauche lorsque j’ai décrit ma problématique et ma façon d’être « au taquet ». Plus fou encore, mon intonation était plus saccadée, plus directe, presque plus sévère. « A l’inverse, quand vous avez parlé de vos copines et de votre désir de prendre davantage de temps, votre corps s’est penché vers la droite et votre voix s’est adoucie », souligne Marie-Agnès, qui ajoute alors que « deux parts sont distinctes ». D’un côté (à gauche), une part « dure » (c’est le terme qui me vient lors de cet échange) s’exprime, de l’autre (à droite), une part « plus douce » tente de se frayer une place (je veux parvenir à prendre ces trois minutes pour moi sans culpabiliser et sans me brûler les gencives en avalant un café).

LA PSY DISCUTE AVEC MA PART DURE ET MOI JE ME PERDS DANS LES PRONOMS PERSONNELS Place ensuite à la pratique. Le but ? Marie-Agnès va dialoguer avec ces deux parts, la dure et la douce. Pour cela, la psychologue me propose de commencer par donner la parole à la part qui me paraît la plus accessible ou la plus bavarde. Je choisis la dure, faut dire que je la connais bien. Il me faut ensuite choisir un lieu dans la pièce et me déplacer. La part dure doit s’exprimer hors du fauteuil sur lequel je suis présentement installée, pour que, symboliquement, je me « sépare ». Je bouge jusqu’au divan à ma gauche, mais ne m’allonge pas. Je suis même assise sur un bout de fesse, à croire que ma part dure est toujours sur le départ, prête à agir, foncer, courir. Marie-Agnès entame le dialogue et salue ma part dure : « Vous êtes donc la part que Caroline juge dure, vous ? ». Voilà que je dois répondre en incarnant cette part. Je m’emmêle un peu. J’ai du mal à utiliser la première personne, je parle au « elle » pour désigner ma part rigide, ou au « je », mais le « je » me désigne et ne désigne pas spécialement ma part dure. « Se perdre dans les pronoms, c’est normal », précise Marie-Agnès, qui est là pour réorienter le dialogue. Elle demande alors à ma part dure pourquoi elle existe, depuis quand elle est là, quels sont ses besoins, ses attentes. Je découvre alors, après plusieurs minutes, que cette part efficace, qui me pousse à tout planifier et à travailler avec sérieux, est arrivée à l’adolescence, quand j’ai su que je voulais devenir journaliste et auteure. Animée par la soif de réussir dans cette voie, ma part dure s’est mise au boulot, déterminée. Autant dire que cette part a été très utile et l’est toujours. « Vous êtes un moteur ? », questionne Marie-Agnès. « Oui », répond ma part.

JE DÉVELOPPE DE LA COMPASSION POUR MA PART DURE Marie-Agnès poursuit ce premier dialogue intérieur. Je comprends le rôle de ma part dure, aussi son implication dans mon quotidien et ma vie professionnelle. C’est une gentille part, dans le fond. Elle ne me veut pas de mal, elle a pris en main mon avenir professionnel et m’a permis d’arriver où je suis. Elle prend simplement beaucoup de place. L’heure est alors aux négociations : « Accepteriez-vous d’être un petit moins présente ? », demande Marie-Agnès à ma part. Spontanément, je réponds (enfin ma part), que non, bof. Et pourquoi ? Parce que je crains d’être abandonnée (enfin ma part craint d’être abandonnée). Il faut dire qu’elle a tellement bossé jusqu’ici qu’elle a peur du vide. Et puis surtout, elle réalise que « moins contrôler », c’est faire place à l’inconnu, à l’improvisation. Choses qu’elle ne peut pas entendre, un peu comme si elle ne me faisait pas confiance : qui sait si, sans elle, je ne deviendrais pas une énorme procrastinatrice et raterais ma vie ? Après ça, je regagne le fauteuil de mon « moi en entier », et MarieAgnès s’enquiert de mon ressenti. Je suis touchée et peinée, parce que ma part dure m’apparaît fragile. La pauvre, elle a peur d’être seule. C’est triste. Ce qui l’est moins, c’est que ma part dure a quand même dit que « si, parfois, je laisse des moments de répit à Caroline, je lui propose de faire une pause, mais à condition de se remettre au boulot dans une heure ». Manipulatrice, cette part ? Cette part qui parfois m’accorde une récréation pour me faire croire qu’elle est sympa ? Mon cœur vacille entre la peine, la déception et le rire. Le rire, j’ignore pourquoi, mais ma part dure est assez comique quand elle dit que « aller chez Zara, c’est une sortie, ça détend ».

MA PART DOUCE EST FRUSTRÉE, ELLE VOUDRAIT EXISTER Désormais, Marie-Agnès souhaite s’entretenir avec ma part douce. Je choisis le fauteuil, face à la baie vitrée et le jardin magique. Ma part douce s’offre un cadre. Marie-Agnès la salue, et lui demande qui elle est. Je réponds (enfin elle répond) qu’elle est la part « détendue et créative ». Je ne m’attendais absolument pas à parler de créativité. Nous creusons, et je découvre que cette part aime « observer la vie, les gens, le temps », ce qu’elle ne fait que rarement, la faute à la part dure qui, pressée et hyperactive, s’impose. Marie-Agnès questionne ma part douce : « Que ressentez-vous, au quotidien ? ». Ma part témoigne de sa frustration : elle aimerait être là plus souvent, et elle aussi a contribué à mon accomplissement professionnel. C’est marrant, parce que soudainement, des souvenirs remontent : je vois clairement des moments « part douce ». A croire qu’ils sont peu nombreux. Par exemple, quand j’écris mon roman, ma part douce est là (même si ma part dure y met son grain de sel). D’ailleurs, j’écris en fin de journée, quand ma part dure commence à se taire parce que la to-do liste a été en partie dégommée. Seulement, ma part douce aimerait exister davantage, et pas seulement quand j’écris mon roman, d’autant qu’il touche à sa fin. Elle aimerait rester plus longtemps en soirée pour profiter de l’apéro, des gens, et ce sans regarder l’heure. Mais bon, l’autre part fait sa loi.

SE RÉCONCILIER AVEC SES PARTS POUR QU’ELLES COHABITENT Quand je reviens à ma place initiale, nous faisons de nouveau un bilan. La première chose qui me surprend est la suivante : nous avons tous conscience (et c’est le cas de le dire) de nos différentes parts. Mais avec ces dialogues intérieurs, quelque chose s’éclaire. Tout est plus net. J’entends mieux ces deux parts, je les reconnais davantage, et je me sens presque soulagée d’entendre que « ce n’est pas tant de ma faute », puisque deux parts se chamaillent à l’intérieur de moi, même si les disputes n’existent guère, puisque la part douce se fait constamment écraser. Je dis ensuite à Marie-Agnès que j’ai ressenti un « agréable abandon » lorsque ma part douce a parlé. Marie-Agnès fait un lien : ma part dure a peur de l’abandon quand ma part douce le trouve agréable. Et si ma part dure pouvait apprendre de ma part douce le plaisir de l’abandon ? Pour que ces deux parts communiquent et collaborent, nous entreprenons un exercice de visualisation. Je dois associer une image à chaque part : je choisis la cuisine pour la part dure (je travaille beaucoup dans ma cuisine et mon agenda y trône) et de « l’air » pour ma part douce. Ça me vient spontanément, mais ma part douce est comme ça, elle a besoin d’air, elle aime le grand air. La visualisation est libre et je peux faire intervenir mon corps. Je choisis de porter dans mes mains ma cuisine (version maison de poupée) et de l’air. Puis, lentement, je joins mes mains. Croyez-moi ou non, je sens vraiment de l’air dans ma main droite et je sens cet air qui pénètre ma cuisine (dans ma main gauche).

UNE EXPÉRIENCE AUSSI CORPORELLE Marie-Agnès me demande ensuite quels ont été mes ressentis corporels. Sans réfléchir, je dis que « je me sentais mince dans ma part dure et ronde dans ma part douce ». Et c’est très intéressant : et si, ma part douce, qui est en quête de plaisir, n’en trouvait que dans la nourriture puisqu’elle est privée du reste ? Elle aimerait bien prendre des bains, flâner, s’exprimer en somme. Une analyse qui me plaît bien et me laisse penser que oui, il est temps que ma part douce s’invite davantage dans mon quotidien, et pas seulement en trois minutes devant une assiette entre deux tâches à réaliser. Pour terminer, Marie-Agnès me propose de rebaptiser mes parts, ce qui m’aidera à poser un regard bienveillant sur elles (surtout sur ma part dure). Ce regard est important puisque se réconcilier avec les parts de soi aident à mieux les gérer, les inviter quand c’est nécessaire et les écarter quand c’en est trop, car l’objectif n’est absolument pas de gommer une part. Il faut trouver l’équilibre et reprendre la main sur ses parts. Ma part dure devient alors ma part « réussite » ou « accomplissement », ce qui est nettement plus sympathique et positif, et ma part douce devient ma part « artiste » (c’est une artiste, non ?). Ce terme m’inspire et nous allons plus loin : et si ma part réussite était la régisseuse ? Elle tient à manager l’artiste et n’a pas tort de le faire, mais l’artiste a le droit, aussi, de vivre et d’agir librement, d’apporter sa touche et bien sûr, d’improviser. La conclusion me ravit, et la psy ajoute, pour terminer, que le directeur, ça reste moi.

APRÈS LA SÉANCE, UN WEEK-END SOUS LE SIGNE DE LA TRANQUILLITÉ Le soir-même, alors que nous prenons la route pour aller visiter Quimper (d’une pierre deux coups), je me sens incroyablement détendue. Je me dis qu’il faut que je prenne des notes de la séance pour ne rien oublier et j’entends alors que c’est ma part régisseuse qui parle. Elle parle aussi quand je surveille le GPS toutes les trois secondes pour m’assurer que nous allons arriver à l’heure au logement Airbnb. Soudainement, ma part me dérange moins, puisque je l’identifie et la vois agir, tandis que ma part douce répète que si nous arrivons trop tard et que le couvre-feu nous empêche d’aller faire des courses, nous commanderons des pizzas (elle a encore faim, chaque chose en son temps). Voilà comment je me suis retrouvée à flâner tout le week-end, et comment, le lundi, j’ai bossé sans trop anticiper, sans calculer, sans chronométrer. Le matin, j’ai même pris un café tranquillement avant d’attaquer (l’artiste en moi en avait très envie). Bien entendu, pour aller plus loin, je pourrais tout à fait réitérer l’expérience. Une poignée de séances peut s’avérer libératrice et nous aider à distinguer nos parts, les grosses et les frustrées, pour mieux se connaître et modifier, petit à petit, nos comportements, jusqu’à atteindre l’équilibre et… la paix.

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